dimanche 27 juin 2010

Portrait d'un père africain

Ce n’était pas une paume ouverte avec ses lignes qu’il lui tendit, mais une paume pleine de crevasses et des boursouflures. Elles cachaient tellement les lignes qu’elle ne sut quel âge lui donner. D’habitude, les lignes de la main sont bien marquées dans la chair, pensa-t-elle. Cette fois, pour la première fois de sa vie de médecin, elle vit une main qui lui rendait le mystère d’un peuple impalpable. Cette main était tendue vers elle, ne lui offrant rien d’autre que sa rugosité, son absence de sillons de tendresse. C’est cela qu’elle aima.
Elle aurait voulu dire quelque chose, heurter le silence qui tombait sur la nuit d’Afrique. Mais elle était indécise. C’est lui qui parla.
- Je suis venu, Madame, pour que vous m’aidiez à retrouver ma dignité d’homme. On m’a enlevé mon bien le plus précieux. Vous le savez. Vous avez vu. Ce matin, devant votre tente, presque, ils sont venus enlever mon fils ; pour l’enrôler dans leur milice .Ils vont le droguer, le rendre fou pour nous tuer tous .Je vous en prie, Madame, aidez-moi.
La main de l’Africain habituée à tirer la charrue derrière les bêtes, sur cette terre rouge sang, l’implorait. Elle prit cette main dans la sienne, la serra doucement. Il ferma les yeux.
La tension était perceptible. Elle sentit la fraîcheur de la nuit couplée à la sueur de la journée
ruisseler dans son dos. Elle avait vu tellement de visages quêtant le sien pour implorer sa commisération Jusque ce qu’il arrive…
- Je vous promets de vous aider, s’entendit-elle murmurer. Votre fils n’est sûrement pas loin. Ceux qui ont pris votre fils ont besoin de nourriture. Ils reviendront. Je leur parlerai. Mais je ne vous promets rien, vous savez aussi bien que moi comment ils sont.
- Je vous serai tellement reconnaissant !
Il la regardait les yeux remplis de larmes. Son fils était son unique vie. Il était la sève de l’arbre, le pétale de la fleur, l’eau du lac, le vent qui murmure. Il était le cadeau de sa femme, avant qu’elle ne meure. Les femmes mouraient beaucoup en mettant leur bébé au monde, dans ce pays.
La femme qui se devait maintenant devant lui était la seule qui lui inspirait confiance. Pourtant, il avait eu peur d’elle, au départ. Son pouvoir de rendre la vie était plus puissant que celui des sorciers de sa communauté. Mais, à force de la voir parmi les siens, aussi furtive qu’un serpent dans le sable, il l’avait adoptée, sans jamais oser lui parler. Jusqu’à ce soir.
Elle savait qu’il n’attendait d’elle rien d’autre en retour. Ses yeux, oh ces yeux…

(mars 2004)

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