mercredi 20 janvier 2016

La rivière

Sur le fond de la rivière asséchée
Coule la mélodie d'une amitié
La honte n'est plus tenue.
Elle qui a enflé comme le torrent malmené
S'est épuisée sur des troncs déracinés
Et des vides de fraternité.

Il y a fort à parier
Que la lie des malheurs
Ne trouvera pas là
Son exutoire.
Elle va vouloir en jouir
Jusqu'à plus soif.

La rivière n'a pas d'autre astre
Que la lune blanche pour la guider,
Atone, dans la nuit  noire,
Pendant que la rose
Jalonnant ses berges
A refermé ses pétales
Pour les offrir, innocente splendeur,
Au lendemain,
Au vent, au soleil, à la pluie.



dimanche 20 décembre 2015

Pensées autour de Boussole


Hier était fait de joies et d'éclats de rire
Chez Ludwika Ogorzelec,
Ce petit bout de femme, mondialement reconnue
Pour ses œuvres gigantesques et délicates à la fois.
Créatrice du concept cristallisation de l'espace,
Elle a travaillé avec César dans son atelier.
Elle nous a reçus chez elle,
En toute simplicité, entre vin et vodka,
Concombres et houmous.


Il fallait bien un contrepoids à cette soirée lumineuse.
Aujourd'hui est triste et lugubre
Dans ce Paris demi-lune, ce Paris anonyme, ce Paris sans traces
Qui a fait disparaître l'âme de quartiers entiers
A cause du creusement de ces grandes avenues uniformes.

Je l'ai oublié, le temps de deux heures.
$ur un banc, face au rocher des Buttes Chaumont, crée de toutes pièces
J'ai lu de plein gré. Consentante, prête à abandonner mes faiblesses.
(céder à la tristesse, me jeter sur la tartelette à l'orange trônant au fond de mon sac)
Ce livre exceptionnel,
Tout un chacun devrait le posséder,
De Natacha Polony à Yann Moix en passant par Eric Zemmour.

Le splendide Boussole de Mathias Enard.

Rien ne m'a distrait :ni les cris des enfants, ni les plaintes des mouettes
Se battant pour un quignon de pain et opérant de superbes arabesques dans le ciel.


Ah! Mathias Enard est un maître.
Il nous permet d'accéder à une autre altérité,
Repoussant - enfin!- le narcissisme de tant d'auteurs français.
Elle est faite de déserts, de reines de Syrie oubliées,
D'Orientalistes passionnés, minés par la perte de ruines
Que les fous de Daechs saccagent comme des damnés.


Ce pont entre deux rives, Orient et Occident,
Mon ami syrien, Adnan Azzam, l'avait rêvé et bâti
En parcourant à cheval des centaines de kilomètres
Avec sa princesse d'alors.

C'était il y a 20 ans.


Mathias Enard fait plus.
Il nous offre ce qui n'est plus.
Il nous le donne à lire, à l'imaginer.


A Paris, où tout est gris,
Il faut replonger dans ce temps
Absolument s'y forcer
Et c'est si bon, car la plume d'Enard coule comme du miel !


Cette lecture est une opiacée aussi forte que les paradis artificiels de Damas
Elle me subjugue, me libère de ma tristesse
Quand je me promène dans un Paris de dimanche de décembre
Seule, aussi désargentée que l'ami Balsac,
Oppressée par la morosité ambiante
Qui inhibe la chaleur de la vie,
La réduisant à des mots ou des tweet sans saveur aucune.

Elle m'empêche de sombrer dans une fureur que certains franchissent
En allant rallier le vide, là-bas, dans ces contrées parcourues par l'auteur.
Cette lecture m'adoucit.
J'entends ce petit garçon de quatre ans claironnant de sa charmante voix d'enfant
«  C'est Star Wars ! »
Un homme a revêtu la cuirasse blanche des soldats de Dark Vador
Près du cinéma du Canal Saint-Martin.
J'ai un sourire amusé ( et non caustique) aux lèvres.


Tous les auteurs ne sont pas cyniques comme Houellbecq
Ou méchants comme Yann Moix quand il dit à Audrey Pulvar,
Sur un plateau de télé:  « Vous écrivez mal »


La tristesse n'est pas cynique
L'amertume, le ressentiment pourrait l'être.

Reste la nostalgie...
Elle devient belle, cette dernière,
Quand elle transcende des lieux ou des personnes oubliés
Et les glisse dans notre mémoire
Comme des fleurs du désert.

Ainsi elle participe à la transmission des siècles.

Mathias Enard, merci.
Je vais continuer à explorer l'Orient, de chez moi.
Un jour, j'irais. Souhaitez-le moi.

mercredi 2 décembre 2015

Claire et les autres

" L'amour ne s'éteindra jamais. Il traverse les espaces et le temps, donne à ceux qui sont blessés dans leur chair, leur âme un puissant antidote à la haine: le sentiment de l'éternité. Personne, et sûrement pas les fanatiques de la mort, ne pourra rien contre ça."

C'est pour Claire, morte sous les balles des fous, au Bataclan, que j'avais écrit ça. 
Claire était la nièce adorée de ma chère amie-collègue, Coco. Elle était une jeune femme de 23 ans, dont Coco ne tarissait pas d'éloge. 
Nous avions l'impression de la connaître. Brillante, sortie de Sciences Po, diplômée d'une grande école de commerce, préparant une thèse sur le Bouddhisme et l'Occidentalisme, elle ne faisait que vivre à fond. 50 kgs, 1m70. Hyper-active, toujours perchée là où sa tante ne l'attendait pas. 
Elle est morte d'une hémorragie, à cause d'une balle qui a troué sa cuisse. Son petit ami, avec qui elle devait se marier l'année prochaine, a survécu. Il est reparti en province. Il ne reviendra jamais au Bataclan. Peut-être ira-t-il vivre loin d'ici.

Claire était aimée de tous. Elle est l'incarnation d'une jeunesse détruite en plein vol. Ce n'est pas seulement elle qui est morte. Ce sont tous ceux qui doivent rester debout, sa mère, son père, ses grand-parents de 87 ans, ses tantes, ses cousins, cousines. Ses amis. Ses amies. Ses connaissances. Son amoureux. 
Jamais je ne pourrais oublier le regard fixe de ma Coco. Ses mains qui étreignent les miennes. Son sac à main d'où elle extrait sans arrêt le faire-part de Claire. Avec une douleur qui éclate à chaque minute et qui l'étouffe. Elle qui aime tant rire a les yeux explosés. Elle n'arrive plus à dormir sans cachetons. Je ne parle même pas de la mère de cette enfant unique.

130 morts. Combien de centaines d'autres, en sursis, avec la douleur du matin, qui re-surgit sans cesse, et cette idée fixe: " ce cauchemar n'existe pas.... dites-moi, mon Dieu, qu'il n'existe pas."

J'écoute le pianiste, Byron Janis égrenant des mélodies d'amour, sur Radio Classique.

Où vit encore l'amour, chez ces êtres dominés par l'incompréhension, la colère?
Je ne peux qu'espérer une chose, qu'il leur soit donné de reprendre goût à la vie, avec toutes les beautés qui existent sur cette Terre (car il y en a malgré tout). 
A nous de les aider à sentir, écouter, bouger, respirer, pour qu'ils sachent combien nous tenons à eux. 
Le chemin sera long pour tous.
Il s'agit de tenir. 

Un ami syrien, très cher à mon coeur, a décidé de repartir au pays. Depuis 6 ans, il vit au quotidien avec la mort. Il préfère pourtant être là-bas qu'ici. Il défend l'armée syrienne libre contre Daech. Il l'aide à tenir. Il vit avec 100€ par jour. Il écrit, donne des interviews, nourrit les soldats, panse les blessures. Son amour pour la Syrie reste plus fort que tout le reste. Il veut laisser une trace. Un village traditionnel, avec ses coutumes, qu'il fera construire. Pour y inviter les Occidentaux. 

Là où Daech lance ses hordes de fanatiques, des hommes se battent pour résister. 
Cet ami reste une lueur. Celle d'un idéal plus haut que tout. 
Je prie pour Claire. Je prie aussi pour lui. Pour que l'amour ne s'éteigne pas. 

Les mots écrits pour une jeune femme partie trop vite s'appliquent aussi à cet ami. Par-delà les horizons, ils doivent résonner. 








La COP 21 et Rousseau



Projet écrit par Laurence Vasseur – citoyenne amie de la Nature – écrivain dès qu'elle le peut




QUEL AVENIR POUR LA NATURE ?
LA TERRE SERA-T-ELLE SAUVÉE GRÂCE A LA COP21 ?





VOIX-OFF (d'un comédien à la voix grave) :
«  Combien mérite de mépris et de haine tout homme qui abuse, pour le malheur du genre humain, du génie et des talents que lui donna la nature. »
Lettre à M d'Alembert par JJ Rousseau – 1756


Un homme comme JJ Rousseau (mort depuis 300 ans) aurait-il encore droit au chapitre dans l'infernale cacophonie de la COP21 qui s'annonce en 2015 ?

Quels conseils pourrait-il donner à Idriss, ce jeune homme de la Côte d'Ivoire que j'ai rencontré au CNAM, il y a 15 ans, lorsque ma curiosité m'avait amené à suivre quelques cours du soir sur le développement durable?


JJ Rousseau aimait se promener dans la châtaigneraie de Montmorency...


Je le soupçonne d'avoir parlé aux arbres quand les hommes le faisaient trop souffrir. Il aimait la Nature d'un amour véritable, savait puiser dans la solitude des lieux la force qui l'animait.

VOIX-OFF du même comédien «  C'est surtout dans la solitude que l'on sent l'avantage de vivre avec quelqu'un qui sait penser »
(Les Confessions)



Pendant un mois, entre le 30 novembre et le 11 décembre 2015, 195 pays vont se réunir à Paris pour une conférence extraordinaire sur le réchauffement climatique, la COP21.

Le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) est une  petite équipe de 12 employés à Genève requérant la collaboration de 259 experts internationaux, chercheurs en science du climat, travaillant à titre bénévole.
Le GIEC lit, analyse, décortique toute cette littérature scientifique et pourrait livrer à la COP21 des conclusions de ce type :
VOIX-OFF D'un ENFANT
Sources : Le Monde diplomatique – novembre 2015
«  si l'on parvient à stabiliser l'accroissement des températures à 2°C d'ici 2050, les conséquences du réchauffement climatique seront contenues, même si certains effets se font déjà sentir (plus forte mortalité des arbres dans certaines régions du globe, inondations de plus en plus fréquentes dans d'autres)
«  si on atteint 4°C, il faudra en payer le prix : montée des Océans de 7m, fonte des glaciers, dégel du pergélisol** et évaporation des milliers de m3 de méthane, déplacement de millions de personnes dans le monde, du fait de l'inondation de leurs terres etc etc... »

(cf  Daesung Lee – 5e Biennale Quai Branly –septembre 2015)

Mais il en sera tout autre bien entendu. Ce sera une ultime bataille autour de mots, comme le montre le Canard Enchaîné de novembre 2015.

Le GIEC a la vertu d'exister, d'alerter les puissants de ce monde et de vulgariser auprès des citoyens des notions dont nous ne connaissions pas l'existence, il y a encore vingt ans : réchauffement climatique, trou dans la couche d'ozone, gaz à effet de serre... 
Mais, à en croire certains éditorialistes (Marianne septembre 2015), il serait déjà pourri dans l’œuf : les membres imminents du GIEC font en effet partie des conseils d'administration des plus gros capitalistes et pollueurs (AREVA et Cie)

Alors ?
Faut-il d'ores et déjà se dire que tout est perdu, qu'il ne sert à rien de manifester dans les rues le 29 novembre prochain, en scandant avec AVAAZ et Nicolas HULOT :
«STOP au réchauffement climatique ! » ?

Faut-il se dire que, certes, les arbres de JJ Rousseau ont bien vécu mais qu'ils seront, de toute façon, un jour ou l'autre, condamnés pour laisser la place à des parkings, et que c'est ainsi : on ne peut rien y faire ?

« NON   NON !!!!!!!!!!!!! »    (REPRODUIRE ce NON dans toutes les langues et en boucle 20 sec)

ll s'agit de continuer le combat.

Des indices montrent des prises de conscience.
L'Amérique d'Obama semble prendre au sérieux certains phénomènes (ses côtes ont été balayées par des ouragans jamais égalés).

SUR UN TON CHANTANT :
Si ce gredin de Bush avait ratifié l'accord de Kyoto il y a 2 ans, tu n'en serais pas là, hein, Obama ...

La Chine semble ouvrir les yeux sur la pollution extraordinaire de son pays, et accepte enfin que des industriels français installent des stations d'assainissement sur son sol: le marché du développement durable est en pleine expansion....

Terrible paradoxe :
On n'a pas d'autre choix que de combattre les racines du mal avec ceux-là même qui le créent.


Et si l'on écoutait enfin la voix de la raison, le bon sens, de ce jeune homme, Idriss ?
VOIX-OFF
« Je viens en France pour écouter des idées, mais je repartirai chez moi pour les adapter à mon pays».

Si on inversait pour une fois les rôles ?

Les pays occidentaux malades de ce trop-plein d'engrais dans leurs terres, de leur pollution sans précédent ne pourraient-ils pas s'inspirer de méthodes provenant des pays émergents, pour éviter tout ce qui vient d'être cité plus haut ?
Certains paysans français (ne se considérant plus comme des agriculteurs) se constituent en collectifs (cf en Ardèche). Ils ne sont pas encore légion, mais ils sont là. C'est une petite armée de l'ombre qui doit grossir et jouer sur les solidarités internationales (échanges de savoir-faire).
Quelques idées voient le jour :
                    labourer le sol sur une surface moins profonde (car tout le travail de décomposition se fait sur une certaine couche, au-delà de laquelle on ne remue que de la terre morte)
                    réduire la proximité entre producteur et consommateur (les initiatives comme l'AMAP sont bénis des bobos parisiens)
                    éduquer la masse à privilégier les fruits et légumes de saison (cultivés dans des zones géographiques proches de leur lieu de vie)
                    utiliser les ressources de la nature à bon escient : l'exemple des filets à micro-particules recueillant la rosée du brouillard dans certaines régions humides du Chili, servant à arroser ensuite des cultures locales ne coûte pas cher et pourrait être reproduite dans d'autres endroits du monde
                    adapter la construction des maisons en fonction de la nature : l'exemple des constructions le long des coteaux escarpés des Blue Mountains entre Kingston et Port Antonio en Jamaïque montre que c'est possible :
« L'homme doit s'adapter à Dame Nature et non l'inverse », disent-ils, ces sages Jamaïcains
                    repenser toute la politique de la préservation du littoral (en Corse, en Espagne où les horribles constructions de  barres défigurent totalement les côtes), mais aussi à l'Ile Maurice, à Haïti...
                    lutter contre la déforestation qui fait des ravages. Chaque arbre abattu doit être replanté   ailleurs (cf. Extraits sur RFI: les fermes biologiques dimanche 31 octobre 11h)

Nous autres, pays occidentaux, qui nous débarrassons de nos containers sans aucun scrupule sur les Côtes africaines, qui avons atteint depuis si longtemps l'échelle de MASLOW, alors que bien des pays n'y parviendront peut-être jamais (car nous y veillons), que nous reste-t-il à contempler ?


Des âmes esseulées, malades, venant d’Érythrée, du Mali... errant dans des rues de France ou de New York, baignant dans leur folie (expient-elles jour après jour leur quête d'un ailleurs qui ne sera jamais plus qu'un miroir aux alouettes?)

Des hommes jaloux de possessions qu'ils n'enterreront pas avec eux, quoi qu'ils fassent..., mais  prêts à engloutir des milliards de dollars pour continuer à exploiter outre-mesure la Nature (comme ces milliers de tonnes de sable volés à l'humanité, ces banquises forées pour du pétrole, ne permettant plus aux peuples sacrés comme les Inuits de survivre en harmonie avec les ours polaires eux-mêmes condamnés à se noyer)

Il faut, plus que jamais écouter JJ Rousseau   (VOIX-OFF du comédien initial)
«  Vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n'est à personne »

En fin de compte, faudrait-il que ce soit elle, Dame Nature, qui se rebelle ?
Ne faudrait-il pas appeler de nos vœux des catastrophes-catharsis qui engouffreraient dans les profondeurs abyssales des entrailles de la Terre tous ces monstres qui l'exploitent sans vergogne ?
La géo-ingénierie, qui s'immisce dans les rapports du GIEC, est le dernier avatar des apprentis-sorciers voulant contrôler la Nature.  JJ Rousseau en frémirait de terreur, s'il connaissait la teneur de leurs projets.

Aors comment veiller sur elle, cette Nature qui nous a fait, nous nourrit et nous recevra lorsque nous ne serons plus, pour qu'elle ne se déchaîne pas sur nous qui l'aimons tant, au fond ?



VOIX-OFF DU COMEDIEN
«  Insensés qui vous plaignez sans cesse de la Nature, apprenez que tous vos maux vous viennent de vous »
(Les Confessions)


AGISSONS AU QUOTIDIEN

Favorisons le vélo à la voiture, plus que jamais
Développons le covoiturage
S'il faut devenir écologique, en essayant d'harmoniser notre vie au rythme des saisons, en sachant observer la Nature, alors soyons-le sans rougir. Vite.
Adoptons des comportements de bon sens :
-Arrêtons la pub papier, qui ne sert plus à rien, sauf à détruire des milliers d'arbres
-Soyons solidaires. Même si ce n'est pas gagné, tentons de nous entraider, en favoriser le troc et les échanges de savoir-faire locaux plutôt que de jeter, de consommer comme les fous que nous sommes devenus...
-Développons l'éducation chez les plus pauvres. Qu'ils restent étrangers à nos modes de vie totalement déconnectés de la Nature. Qu'ils se rendent compte que nous crevons de nos excès de CO2, que nos poumons et nos yeux sont noirs de micro-particules de pétrole, quand nous nous déplaçons en vélo dans une capitale comme Paris.
Je le fais depuis plus de dix ans.

Je nourris encore des espoirs pour cette fameuse COP21.  Sinon,  que pourrais-je dire à ma fille de 9 ans ?



jeudi 19 novembre 2015

Je crois être née le 12 mai 1980

Katia est seule, à la terrasse du café du MK2 à la Villette. Elle traîne sa solitude chaque jour ici, depuis un an. Les serveurs la connaissent bien, l'aident en ne la prenant pas de haut, en étant gentils avec elle. A vrai dire, elle est coquette, dans ses vêtements sexy. Au départ, elle est venue en nuisette. Elle ne savait plus ce qu'elle faisait. Elle a eu un coma, provoqué par les médecins suite à des crises d'épilepsie à répétition. Sauf que le coma s'est prolongé. Elle s'est pourtant réveillée, sans savoir combien de temps elle est restée dans cet état. Elle a perdu la mémoire, celle de son âge, de ses souvenirs, de ses amours. Elle fait des mots croisés pour faire fonctionner des neurones dont l'engrenage est bloqué. Elle décoche un sourire à la personne s'asseyant à côté d'elle, en vue d'engager une conversation mainte fois similaire, mais qu'elle n'a de cesse de reproduire, parce que tout s'efface au bout de dix, quinze minutes. Il lui faut mettre un prénom sur ce visage, puis celui-là, puis cet autre, encore. Qui sait, elle s'en souviendra peut-être? se dit-elle, pour ne pas tomber dans le vide d'une tête qui ne répond plus de rien.
Elle s'est occupée d'enfants, dans des écoles avec des enseignantes. C'était Katia la gentille, Katia la méchante, dit-elle, en riant. Les crises d'épilepsie l'ont empêchée de continuer de travailler. Handicapée à plus de 80%, elle touche une indemnité. Mais les entreprises, pourtant sensées toucher des primes pour embaucher des handicapés, ne veulent pas d'elle.
Elle est au chômage, depuis de longs mois. Elle vit chez ses parents, avec sa soeur, à 500 m de ce café, le long du Canal. Près de son osthéo et de l’hôpital de la Salpétrière.
Elle dit " je crois que je suis née un jour de mai 1980, le 12. Mais je ne sais plus quel âge ça fait."
Elle aimait aller au cinéma le samedi et le dimanche. Elle aimait rire des blagues de ses amis. Leur égoïsme, la peur qu'elle leur inspire (le miroir qu'elle leur tend, inconsciemment) les a éloignés d'elle. La lâcheté a pris le dessus. Implacable société, où la dictature du paraître est plus omni-présente que jamais. On n'est pas loin d'un totalitarisme, où seuls les bien-portants auront le droit de cité. Les autres, il faut les cacher.
Elle a eu une sclérose en plaque en CM2.
Les crises d'épilepsie provoquent en elle des tremblements incontrôlés, qu'elle soigne, avec terreur, en cherchant fébrilement dans son sac à main (où trônent des serviettes hygiéniques en permanence) le petit cachet qui lui permettra de se calmer.
Elle a peur de faire peur. Peur du regard des autres.
Elle a pourtant un bon sourire, un visage avenant, une peau laiteuse, des formes généreuses. Elle fume en tenant gracieusement sa cigarette. Elle a envie de plaire. Elle aimerait qu'un homme s'attache à elle; mais qui, hormis ses parents et sa sœur, pourraient s'occuper d'elle au quotidien, sans seulement s'attarder sur ce physique de prime à bord pas désagréable à regarder?

Quel avenir pour cette jeune femme qui pleurait de chagrin devant moi, au bout de quarante minutes de conversation? Je l'ai fait pleurer, me suis-je dit, parce que la compassion sincère, l'intérêt  que je lui témoignais, les mots de soutien que je lui apportais du ton le plus doux possible, comme à un enfant que l'on console parce qu'il a cassé son jouet préféré, l'avait touchée? Parce qu'une inconnue  l'écoutait, l'avait fait rêver cinq minutes en parlant de cinéma, ou parce que je lui montrais un visage bien portant, lui tenais le miroir de ce qu'elle n'était plus?
Qu'aurais-je dû faire? Abréger la conversation qui a abouti à cette souffrance ouverte (car prise de conscience exacerbée à cet instant du dialogue)? Ne pas rentrer dans la pitié que j'éprouvais et qu'elle ressentait?
Comment ne pas être insensible à cette perte de repères, ne pas être admirative devant cette volonté de vouloir s'en sortir en dépit du sort terrible que la vie lui a infligée? Avais-je raison de lui dire que les lendemains ne pourraient qu'être meilleurs et qu'un jour ou l'autre la vie s'arrangerait pour elle? Avais-je le droit de vouloir lui insuffler cet espoir?
Qui suis-je pour distiller ainsi cette compassion? Je ne suis ni psychologue, ni psychiatre, ni même philosophe.... Mon amour pour la vie est immense, car j'ai un jour voulu la perdre.
Alors, peut-être avais-je tout simplement envie que cette jeune femme vive, et qu'au-delà des souffrances, elle continue de regarder les beautés de ce monde, car il y en a encore (les lumières chatoyantes, de nuit, sur la Seine en sont une).
En dépit des horreurs des attentats qui venaient de toucher notre cher Paris, en dépit des monstrueux égoïsmes dont nous faisons tous preuve, en dépit des déceptions qui nous attristent et nous rendent amers (des amis que l'on croyait chers nous laissent peu à peu tomber, car nos modes de vie ne s'accordent plus avec les leurs, avec le temps qui passe: 20 ans d'amitié peuvent parfois terminer dans le caniveau, j'en fais actuellement l'expérience, moi aussi).
La réconforter m'a fait du bien, car j'étais moi aussi, en fin de compte, déboussolée par toutes ces tragédies dernières. Je n'y ai pas pensé, sur le moment. C'est là, deux jours, plus tard, avec le recul et la distance, que je m'en suis rendue compte.
Donner du temps, quand on en a un peu (au lieu de traîner son ennui en surfant sur FB, sur son portable), de manière totalement désintéressée, pour quelqu'un en souffrance et que l'on ne connaît pas, c'est faire abstraction du regard des autres (je pense à cette autre femme en face de moi qui me regardait d'un air vide), c'est accepter de voir le malheur en face. La réalité brute, brutale. Je peux comprendre l'égoïsme, l'individualisme à outrance de certains qui rentrent dans des sas hermétiques, mais je crois, en fin de compte, que c'est encore plus monstrueux que le spectacle de la vie, sans fard, que le destin place parfois sur notre route.

Alors à toi, Katia, qui m'a serré ma main à la broyer, à toi qui me disais ' profitez de la vie à chaque instant, à chaque seconde', je voudrais te redire merci. Tu as fait rejaillir de ce cœur parfois endurci (qui est le mien) une larme de vraie compassion. De tendresse pour le genre humain.
Tant que des Katia seront sur ma route, je continuerai à être ce que je suis.
Tant pis si je ne suis pas assez mesurée, tant pis si je n'ai pas les bonnes formules pour dire ce qu'il faut, dans ces circonstances, tant pis si je fais pleurer. Je me dis que ces larmes ont fait sortir la souffrance qui était contenue depuis trop longtemps dans cet être fragile. J'ose espérer que je l'ai aidée, malgré tout.
J'espère qu'elle s'en sortira et que mes souhaits d'une vie meilleure pour elle seront exaucés.

lundi 7 septembre 2015

Les femmes élevant seules leurs enfants : vaste marché pour le marketing ou terrifiant désert sentimental ?

Il faut un certain courage pour élever seule ses enfants, quand on choisit de se passer d’un homme au quotidien.  Il en faut encore plus quand on SUBIT la chose alors que l’enfant n’a pas encore l’âge de l’autonomie. Quand le mâle déserte, attiré par un autre chant de sirènes, il faut comprendre que le bateau va prendre une mer agitée, pendant de longues années et cela, dès le lendemain de la rupture.
Il faut un temps pour comprendre cela : qu’une personne manquera pour accomplir toutes ces menues choses qu’une maman effectue chaque jour, avec ses enfants. J’en cite quelques-unes, parmi les plus réjouissantes : le matin : réveiller des enfants endormis, les houspiller pour qu’ils s’habillent, déjeunent correctement, mettent leurs chaussures et surtout leurs lacets, partir rapidement à l’école après avoir fait le dernier pipi qui dure 15 plombes ; le soir vérifier les devoirs, une fois rentrés, après avoir réussi à attraper le train de 17h58 en ayant pesté auparavant contre tous ces gens égarés en gare du Nord, répéter inlassablement « Ne passe pas trop de temps devant l’ordinateur ou la TV »,tout en préparant un repas (purée jambon au choix, quiche, ou à la rigueur, pâtes ?) avec 75 ou 80% de chance qu’ils ne voudront pas les trucs verts qui grouillent dans l’assiette (« ce sont des haricots, mon chéri »), les inciter à aller se doucher car « il est déjà 21h et demain tu n’arriveras pas à te réveiller , ma fille (ou mon fils)»  et se laver les dents - tâche qu’ils accompliront en 58 secondes, voire 34.
J’en passe et des meilleurs. Bien entendu, c’est selon l’âge, l’humeur du jour et le degré d’obscurité derrière la fenêtre. La courte nuit de la mère (se délectant d’une série entre 22h et 03h du matin) sera aussi propice, ou non, à la cordialité ambiante. Une nuit d’amour avec un amant de passage,  n’en parlons pas : cela ne fait en général pas partie du lot de ces 14.5%* de femmes seules vivant avec un enfant  (contre 2.9%* des hommes vivant la même chose).

Les questions sous-jacentes à cette longue entrée en matière sont celles-ci :
Quid de la vie amoureuse, sexuelle de la plupart de ces femmes-là ?
Comment réussissent-elles à retrouver un amant, un amoureux, un compagnon ? Par quel intermédiaire ?
Pourquoi restent-elles seules ? Combien de temps ? 

En général,  ces « femmes-là »  se voient attribuer la garde suite à une défaillance de « leurs hommes » : ils les ont trompées, se sont barrées avec une autre, ou dans le pire des cas, sont morts. Quoique le sujet traité ici est celui des femmes-mères, pas des veuves.
Un peu d’histoire, peut-être ?
Il est amusant de taper sur wikipédia le terme ‘ fille-mère’. On obtient quelques définitions, ou d’emblée quelques citations qui nous hérissent le poil, à nous, femmes-mères du XXIe siècle :
Mais, dans la pratique, celles qu’on appelle des filles-mères sont chichement aidées, tenues en état de mépris et, le plus souvent, jetées à la rue, précipitées aux abîmes. (Ludovic Naudeau, La France se regarde : Le problème de la natalité, Librairie Hachette, Paris, 1931)’
Il faut regarder la traduction qui s’inscrit telle quelle, dans le langage de notre moderne siècle, sur cette même page wikipédia : « mères célibataires »…
Ah ! Le terme pourrait revigorer, offrir une liberté que ne permettait pas ce terme méprisant «fille-mère », auquel on associe aussitôt le pêché (du XIXe), le côté « pauvre fille », la fille qui sort du rang, qui devient de suite une fille honnie, mal aimée, et qui, parfois, tombera dans la prostitution, la calomnie, la folie le crime ou la mort (cf. Tess of Uberville de Thomas Hardy, Fanchon, la maman de Cosette dans les Misérables de Hugo, pour ne citer que les plus tristement célèbres).
Non. Les temps ont changé, il faut bien le reconnaître. Le terme est désormais synonyme d’une forme de liberté.
La mère célibataire trempe d’abord un doigt hésitant dans ce mélange étrange, puis la main, le bras et parfois tout le corps. Elle n’est pas programmée pour cela. Elle a appris à devenir mère. Elle a voulu (ou pas) cet enfant avec cet homme. Il l’a quittée. Elle doit réapprendre à devenir femme. C’est un processus qui se déroule presque toujours de la même manière. Au début, elle apprend à garder son enfant 24h sur 24, tous les jours, toutes les vacances, puis le père se souvient qu’il a un gosse : il accepte de le garder un WE sur deux, puis parfois une semaine sur deux, et la moitié des vacances. Ca, c’est le meilleur des cas, quand le père est intelligent, voire quand il est rongé par la mauvaise conscience. Parfois il n’apparaît plus du tout : il a refait sa vie, ne veut plus entendre de la première. Et là, la mère en reste au stade un : la garde à plein tube. L’aide des amis est vitale, dans ces moments-là.
 Donc, au fur et à mesure que l’enfant gagne en autonomie et la mère en temps, elle a envie de revenir à des choses auxquelles son esprit s’était éloigné depuis de longs mois. Une fois, une mère célibataire a avoué à un homme qu’elle était restée seule 7 ans avec ses enfants. Sans avoir envie d’un homme. L’autre l’avait regardée sans comprendre. Forcément.
Quand la mère-célibataire comprend qu’elle peut et qu’elle a le droit d’utiliser du temps pour elle, elle y va. Parfois, trop franchement : l’enfant trinque, diront les plus prudes, quand elle le confie trop souvent à la copine, la baby-sitter, la voisine (plutôt qu’à sa propre mère, car la honte du XIXe siècle la taraude encore et la pousse à se cacher du jugement des autres), pour sortir en boîte  le week-end, en « After » après le boulot, ou à l’hôtel pour s’offrir quelques heures de plaisir avant de reprendre le masque de la mère.
Car tel est le lot de certaines de ces femmes-là.  Elles ont encore envie de plaire, de se donner du plaisir, et d’en donner. En dépit de toutes ces menues tâches citées plus haut. En dépit du jugement qui ne manquera pas de s’exprimer, hypocritement, ou avec une fausse compassion, sur leur comportement ‘ léger’.  Elles sont au cœur de leur sort, de leur destin, de leur solitude, mais dans la plus grande majorité des cas - et ce serait faux de le nier, elles sont victimes de leur situation. Elles ont eu à vivre la déception d’un homme qui les a trompées, les a laissées seules avec des enfants sur les bras. La souffrance qui en découle  (liée à la rupture physique : le corps de cet homme n’est plus dans leurs bras à elles, mais dans ceux d’une autre), la colère, l’incompréhension, le fatalisme, l’ego malmené (« il m’a abandonnée » étant un sentiment inconcevable chez certaines femmes convaincues de leur pouvoir de séduction), l’abattement. Puis viendra le temps du sentiment inéluctable : continuer à tracer la route, pour les enfants, quoi qu’il en coûte. Quoi qu’elles fassent.
Aussi, parler de légèreté pour qualifier le comportement de ces femmes qui ont encore envie d’aimer, c’est d’une totale indécence. Je ne parlerai pas ici de certaines qui font effectivement n’importe quoi, qui laissent leurs enfants régulièrement seuls, la nuit, pour aller baiser avec des mecs d’un soir - cela relève de l’irresponsabilité totale. Je parle de celles qui se sentent encore autant femmes que mères et qui ne comprennent pas pourquoi elles ne devraient être que la seconde, tant vis-à-vis de leur enfant que de la société. De nombreux mâles examinent leur situation sous un angle nonchalant, ronflant (comme lorsqu’on est assis dans un bon fauteuil de cuir duquel on a du mal à s’extraire): « bah elles ont déjà un gosse, elles ne vont pas continuer à nous faire chier, encore : qu’elles s’occupent de leur môme, après tout ».  Cela vaut autant pour les pères (qui se débinent ainsi de bien des tâches), que pour les grand-pères  (le père des mères célibataires) trop heureux de retrouver leur fille, comme au bon vieux temps, avant qu’elles soient mariées (ou en concubinage, ou pacsées), car, si elles ne sont pas trop distantes, elles reviendront toujours vers eux… 
La société dans son grand ensemble (et en particulier les femmes seules sans enfant) pensent ouvertement ainsi: « Ne te plains pas, tu as déjà un gosse, toi ! »

Mais…. Qui s’occupe de connaître leurs états d’âme, le dimanche après-midi, quand elles sont vraiment seules (sur ces fameux week-ends d’un sur deux), et qu’elles entendent les rires d’enfants encadrés par ceux de leurs parents, quand elles se promènent le long d’un canal (de l’Ourcq, de l’Oise…) après avoir peut-être goûté ‘aux joies éphémères du 4h’ (certaines femmes nommant ainsi leurs trois ou quatre conquêtes qu’elles voient, sur des villes différentes pour ne pas créer d’incidents de parcours), avec ce mal de ventre qui surgit lorsqu’elles croisent des couples d’amoureux de 30 ans avec des poussettes dans lesquelles se vautrent de délicieux poupins ?
Qui s’occupe de leur solitude le soir, quand les enfants dorment du sommeil du juste, après un dernier câlin, après avoir respiré leur odeur de maman? Qui s’occupe d’elles quand il est 22h, quand le programme TV est nul, quand les séries ne font plus fantasmer ? Qui s’occupe de leur corps qui réclame des caresses sous des mains expertes (tant qu’à faire : elles deviennent exigeantes et même coupantes en la matière) et des baisers dérivant vers des zones non contrôlées ?
Qui les console quand elles s’attachent à l’un de ces 4h et que le salaud les plante comme de vieilles chaussettes ? Qui a encore envie d’elles quand elles s’aperçoivent que la peau de leur cou commence à se flétrir ?
Eh bien, pour ces femmes-là, aussi, une solution existe. Car oui ; les hommes de marketing ont la science infuse, c’est bien connu. Ils leur ont concocté de super sites pour femmes exigeantes : meetic, tinder, millionnaire.com.  Pour ‘adopte un mec.com’, c’est une femme qui l’a inventée. Et oui, on ne peut pas tout maîtriser, messieurs. Il faut bien en laisser pour les plus nymphomanes.
Alors par milliers, elles s’inscrivent, elles trinquent dans des bars, s’apprêtent afin de paraître encore belles et jeunes. Elles sortent grâce à des soirées ovs (on va sortir.com) où elles font des choses qu’elles n’auraient jamais fait auparavant (je parle de sport comme l’escalade, le deltaplane etc… : ah je vous ai bien eus…). Elles rencontrent des ‘gens sympa ‘ le temps d’une soirée théâtre, d’un cinéma, d’une danse.
Tout cela a un coût, au fait ! On allait passer outre. Taratata, comme dirait l’autre. Ce n’est pas gratis. A ovs, par exemple, vous avez droit à un mois gratuit de sorties pour vous amuser comme des petites folles, et puis si vous voulez retrouver le super mec que vous avez croisé à la sortie n°42157, il faudra payer l’équivalent de 25€. Enfin, quelque chose comme ça. Tout a un prix, dans la vie : même la mise en relation. Même le début d’une amitié. Voire qui sait, d’un amour. Car si si, ça existe : certains se dégotent un mari dans cette histoire. Et puis c’est tellement has been de ne pas en être (sur meetic, je veux dire). C’est d’un autre temps que de croire que l’on rencontrera encore l’homme de sa vie au détour d’une rue, d’une soirée entre amis. Tout doit être prêt à être consommé, ou remboursé. C’est bien connu.
Les femmes ‘mères-célibataires’ ont le choix entre toutes ces vies. Certaines réussissent la bascule : retrouver un équilibre avec un autre homme ayant des enfants, re-devenir heureuses, sans trop de heurts avec l’ancien (homme). Parfois elles ont la malchance de retomber sur de solides goujats (on devrait inventer un nouveau site: « aux abonnésdesalauds.com »), et alors là, elles laissent complètement tomber les mâles, deviennent lesbiennes, ou se consacrent à leurs canaris. A leurs enfants, bien entendu (cela allait de soi, enfin !). Elles ont des passions autre : la lecture, les voyages, le travail, par défaut.  Elles découvrent le vrai sens du mot « entraide ». Elles deviennent membres d’associations caritatives. Se font bonnes sœurs. Enfin, ça, c’est à discuter…
Elles écoutent de la musique jusque pas d’heures, mangent des gâteaux au chocolat même s’il est 23h30. Elles ne supportent plus l’idée de devoir aller chercher des chaussettes sales d’hommes sous le lit. Elles tapissent la cuisine, réparent les éviers bouchés et se curent le nez, le soir, en regardant la TV. Ca, c’est peut-être possible de le faire, aussi, après 15 ans de mariage. Enfin. Bon. Elles s’occupent du mieux possible pour ne plus avoir à penser aux hommes qui les faisaient rire, jouir, pleurer (de bonheur, ça arrive aussi). Ces hommes qui les ont un jour aimé d’un amour vrai (le temps de quelques mois, ou de quelques années, avant de les abandonner car l’herbe est plus verte ailleurs, et parce qu’elles se négligeaient trop en prenant trop au sérieux leur rôle de maman).
Car, après tout, il faut dire les choses. Les femmes -célibataires sont souvent des ‘victimes’. Mais, aussi, parfois de vraies chieuses, de vrais dragons, de vraies soupes-au-lait. Elles sont devenues ainsi parce qu’elles devaient le devenir. Rien n’est blanc ou noir. Tout est à construire, à reconstruire, quand tout a été dit.  

La société construit de drôles d’individus. Des femmes -maîtresses, des femmes maman célibataires  qui  croisent leurs homologues mâles auxquelles elles ressemblent parfois de plus en plus, dans leur comportement. Elles les ont croisées, avant, pour s’accoupler et faire des bébés (leur programmation est ainsi faite). Puis un jour, l’homme (ou la femme) a regardé l’autre dans le blanc des yeux et a décrété «  On ne s’aime plus ». Dès lors, ils n’ont plus fait que s’observer, à la dérobée. Pour se critiquer. Pour relever les défauts réciproques. Pour parfois baiser car il faut bien.
Dans cet amas de cœurs labourés, de corps oubliés, où se cache l’Amour ?  S’il est exhibé dans ses étapes (rencontre-dîner, effets de séduction sponsorisés par morningkiss.com,  consommation ou pas le premier soir) grâce à ces fameuses ‘dates’ organisées par les sites marketing,  où se trouve l’étincelle ? Cet acte fondateur qui lie un homme et une femme? Celui qui naît d’une spontanéité, d’une rencontre fortuite et non programmée ?
Certaines croient encore à l’Amour véritable. Celles-là prennent leur temps. Se disent qu’il leur tombera dessus. Comme les étoiles des poèmes.
A chacune sa voie. Si les femmes-célibataires attendent tout de l’homme, elles seront déçues. Si elles savent être en harmonie avec leurs désirs du moment, peut-être réussiront-elles à ne plus se sentir hors des sentiers balisés (ceux qu’empruntent encore 48%* des hommes et des femmes en couple). Du moins se sentiront-elles plus légères…


*chiffres du dernier recensement INSEE 2012. 

lundi 10 août 2015

Annie ERNAUX. Une révélation. « La place ».

Une écriture choisie pour faire ressentir au lecteur ses origines sociales. La honte, le regard de plus en plus éloigné de la narratrice (A Ernaux elle-même) sur son sujet : le père. Un monde qui n’existe plus, qui ne cesse de la hanter, pourtant. Elle est allée au-delà de ses origines. Elle pense expier la trahison envers l’enfant qu’elle était en écrivant.

Comment vivre avec cette trahison ? Sans doute, le peut-elle car elle est allée au bout de ce qu’elle était. De ce qu’elle ne pouvait pas être, plus encore que ce qu’elle ne voulait pas être. Pour autant, elle n’a pas oublié la moindre parcelle de souvenirs.  Parce qu’il y avait, dans chaque geste, chaque mot, une économie qui ôtait le superflu (jamais le superficiel : ce mot n’aurait jamais pu s’appliquer à son père) et qui lui a permis de photographier, mentalement, et d’une manière plus aiguisée, encore, ces images, dont elle a nourri ses écrits.
Elle pose la question du souvenir. De la vie. Pour écrire quelque chose qui ait du corps, de la consistance,  il faut avoir fait place nette. S’être épurée du vernis que la société, les préjugés, les traces de l’éducation, les ressentis laissent sur nous. C’est ce tour de force qu’elle a réussi  avec ce livre. Être en osmose avec sa mémoire, ses souvenirs pour évoquer la figure du père. Lui rendre un noble hommage.
Elle a voulu utiliser une écriture factuelle pour rester dans le vrai. Dépeindre le monde des dominés. Jamais un mot ou une émotion de trop. Ne jamais tomber dans le misérabilisme.
Dans ce récit, elle est l’adulte qui demeure fidèle à l’enfant qu’elle fut. Ses mots ne heurtent pas, ne sont pas dits plus haut les uns que les autres. L’oralité des scènes se glisse dans l’écrit d’une façon magistrale. 
Je serais honorée, si elle acceptait de converser avec moi.  Comme elle, j’ai eu, à mon adolescence, honte de mon milieu social. De la soupe sans sel, du ‘ qu’en dira-t-on’,  des phrases toutes faites  (on ne peut pas aller plus loin), d’actions que je jugeais ridicules.

Annie ERNAUX m’a montré que l’ascension sociale résidait, au contraire, dans la répétition de ces petites choses. Se raser, pour aller faire des courses, est un acte social chez mon père. Pour se distinguer du ‘petit paysan’ qu’il aurait pu demeurer, s’il n’avait pu suivre les cours de l’Ecole Normale.  La lecture de ‘ la place’ a mis en lumière tout ce qui me meut, au fond: la place de l'amour de mes parents. En cela c'est une lecture salvatrice. 

Là, s'arrête la comparaison. Car si l'on scrute le processus de création, un fossé se creuse. Énorme, béant. 
Le détachement d’Annie ERNAUX n’a pas été le mien. Elle a basculé vers un milieu plus bourgeois, rompant avec des mots de l’enfance. Je n’ai pas évolué de la même manière, même si je suis ‘montée‘ à Paris. En cela, elle est devenue une personne réellement indépendante, ce dont je me targue d’être, mais que je ne suis pas, de facto. Je ne pense pas avoir cette force. Et là, réside toute la différence. Elle peut être affranchie de toute contingence. De toute peur. Elle peut écrire comme elle veut. Être totalement libre.

Moi,  je dois composer. L’écriture libérée, qui ose, je la diffuse aux inconnus, sur un blog. Sur un site d’auteure, dont je n’ai pas donné les clés à la famille. Mon anonymat parisien me protège de leurs remarques acides,  de leur pudibonderie.  L’autre, celle qui peut être lue d’eux, je la cantonne, la restreins, volontairement.  Qui est la plus grande traître, alors ? Elle ou moi ? 

vendredi 31 juillet 2015

Les tribulations parisiennes d'une provinciale à bicyclette


Il fut un temps où les hommes et les femmes quittaient leur pays d’origine (la Bretagne, l’Auvergne, le Nord, Lorraine…) pour monter à Paris. Où les nourrices bretonnes donnaient leur lait aux bébés des bourgeois du Jardin du Luxembourg, où les artisans menuisiers s’installaient rue St Antoine pour confectionner les jolis meubles en bois laqué des nantis de Bastille. Où les gens du Nord venaient vendre leur poisson dans le quartier des Halles.
Peu de choses ont changé, en fin de compte en ce XXIeme siècle. Les expatriés de l’intérieur continuent à gonfler le stock des âmes vaillantes, prêtes à tous les défis, pourvu qu’il y ait de l’argent, de la reconnaissance, et donc du pouvoir, à la clé.
Paris a beau crouler sous la masse de tous les gueux et gueuses de la Terre, elle reste le centre névralgique, le cœur de toutes les décisions qui font perdre le souffle des heureux élus, qui frappent de leur enclume implacable les malchanceux qui iront irriguer leurs peines dans la foule des anonymes. Paris reste le lieu des possibles, même si d’avance on sait que les jeux sont faits, que tout est bouclé. Pas touche ! On n’entre pas comme cela dans le giron des mondains, des familles à connaître, des cercles d’influence. Il faut faire partie d’un réseau, s’en créer un, pour faire tourner la boutique.
Vous voulez vous faire éditer ? Accrochez-vous car les sacro-saintes maisons d’édition classiques, les prestigieuses, celles qui n’ont plus besoin des jeunes plumes pour faire leur beurre, ne prendront pas le temps de lire les centaines de manuscrits envoyés chaque semaine. Vous le savez, et pourtant vous tentez. On espère toujours un miracle. Mais rares sont ceux qui décrochent la timbale. Il faut être avant-gardiste, détenteur d’une plume hors pair pour les toucher un tant-soit-peu.
Vous voulez faire fortune dans le prêt-à-porter de luxe ? La chance peut vous sourire. Là aussi, la concurrence est acharnée, sans pitié. Soyez aussi fort que le bronze, dur comme le marbre et raffiné comme ses nervures. Soyez prêt à en découdre…
C’est ainsi : il faut accepter les règles du jeu, les connaître pour mieux les contourner avant de monter, ou descendre à Paris. Les gens s’instrumentalisent les uns les autres. L’égoïsme est roi, la générosité se cache derrière des armures, l’intérêt prime.

Je suis une voyeuse qui erre dans Paris, selon les caprices de sa bicyclette. Je me nourris de tout ce qu’elle veut bien m’offrir : ses odeurs, ses visages, ses quartiers, ses illusions, ses revers de fortune, ses conservatismes, ses beautés d’un jour.
Cela fait quinze ans que je suis descendue à Paris. Je viens d’un pays difficile, le Nord-Pas-de-Calais. Ceux qui le connaissent l’aiment, ceux qui ne le connaissent pas le détestent d’emblée, sans même se poser de questions. C’est ainsi : mon pays est victime des calembours de la presse, de sa misère sociale, des clichés qui parsèment ses rues ringardes, ses clochers et ses façades de brique rouge. Ils sont un peu fondés, je le reconnais, car des familles entières vivent sur un système qui les broie, les fait dériver dans la torpeur de l’alcool comme seule parade face à un monde qui les ignore et se moque d’eux. Elles vivent à Roubaix, Tourcoing, Lens, Outreau, dans des villages où pas même la queue d’une vache ne bouge. Rien ne s’y passe. On a l’amère sensation, fataliste, que ces familles sans avenir se contentent de cette merditude, comme le dit un certain réalisateur belge…mais encore faut-il savoir pourquoi. Ils n’ont pas les moyens de partir. Ils n’ont pas envie d’aller grossir le flot de ces expatriés de l’intérieur qui galèrent dans le métro, à sentir ces odeurs de merde, de pisse, cette promiscuité repoussante. Ils n’ont pas envie de perdre la moitié de leur salaire dans un 2 pièces de 35 m2 à 900€ le mois ; ils préfèrent encore la chaleur de leurs querelles de chiffonniers, dans le quartier de leur enfance. C’est le petit peuple d’une France oubliée. Les autres, les familles d’industriels du Nord, ceux qui ont fait fortune sur le dos de leurs parents, dans les mines, le textile, le commerce, sont hors de portée. Eux sont perclus de traditions, de conservatismes. L’odeur de l’argent est la seule qu’ils connaissent.

Mais le sujet n’est pas là. Il réside dans les tribulations de cette provinciale que je suis dans les rues de cette capitale.
Je vous emmène là où mes pas m’ont portée, souvent au hasard…
Dans le 9eme, derrière le Sacré-Cœur, en parallèle au grand Boulevard de Pigalle, une avenue traversée en son milieu par des arbustes en fleurs, offre une sérénité inattendue… L’Avenue Trudaine. Pas de marchands chinois, pas de boutiques bling-bling, pas de foule qui se heurte. Les trottoirs sont larges et propres, les restaurants ‘ l’Inde du Sud’, ‘l’Oriental’, ‘les Bonnes Sœurs’, proposent des menus succulents au palais. Juste ce qu’il faut de sobriété, sans cette lourdeur des biens pensants, juste ce qu’il faut de populaire pour avoir envie de parler comme bon semble. Sans fioritures.

A l’angle de la Rue Cauchois, dans le 18eme, l’impasse Marie Blanche intrigue. Au fond de cette ruelle pavée, se tient un hôtel particulier ; celui du Comte de l’Escalopier. Né en 1812 cet héritier de la noblesse de robe passionné d’archéologie fit construire une demeure gothique, reflet du goût de l’époque pour le style troubadour. Dans le jardin, il installa des serres extraordinaires chauffées à la vapeur qu’il troqua contre une bibliothèque de 5000 volumes et un musée d’orfèvrerie médiévale. Il mourut à Liancourt, d’où il venait, en 1861.

Exemple d’un expatrié de l’intérieur, qui connut une enfance picarde, la vie parisienne dans toute la splendeur de son époque, et qui, en fin de compte, porta ses derniers regards sur la campagne picarde.
Peut-être est-ce cela, la richesse de Paris : nous offrir ce qu’elle recèle, de magie, de poésie, pour les emporter dans notre région d’origine, à l’instar des pharaons Egyptiens inhumés avec tous leurs trésors. Les nôtres sont dans les rencontres, le souvenir des lieux.


Pour citer Julien Green : « …Il faudrait la sensibilité particulière d’un Baudelaire ou d’un Proust pour nous en donner ce qu’on appelle aujourd’hui l’atmosphère, pour traduire le charme d’une certaine laideur et rendre cette indéfinissable bonne camaraderie des objets qui caractérise un endroit banal aux seuls inattentifs : la banquette de cuir usée…, le siphon bleu-pâle, accessoires rituels de la vie de café tel qu’on pourrait les voir dans une toile de Picasso ou de Derain. Et çà, c’est Paris. »

Mais moi, vous, qui sommes provinciaux, non nés dans cette ville qui offre ses mystères, sans jamais nous les donner complètement - à en croire Julien Green-, ne pouvons-nous pas pour autant sentir ces parfums surannés qui s’étiolent dans les cours intérieures ? Je l’ai sentie, moi aussi, cette odeur du temps qui semblait m’appeler, au 9 rue Cadet dans le 9eme. Elle provenait de ces hôtels particuliers du XVIII dont on imagine sans peine les fantômes parcourir les couloirs à la recherche de leurs jeunesses batifoleuses. Les carreaux ne tenaient plus que par le plus grand des miracles. Je suis restée longtemps assise, sur le banc, à déguster mon sandwich, à attendre que les pierres parlent. Elles me racontaient des histoires sans paroles, des luttes de pouvoir. Dans la rue Cadet, la vie du XXI siècle battait son plein, grâce aux mélanges de curry indien, de chorba du Magreb, de harira tunisienne et de mafé sénégalais. Dans la Cour Cadet, le temps s’était arrêté.

Et que dire de la lumière du Quai d’Orléans, lorsque le soleil étend ses derniers rayons sur les façades de ses maisons de maître, les parant de feux d’or, sous un ciel bleu roi ? Lorsque je la revis, quelques ans plus tard, intacte dans un coin de ma tête, comme si elle s’y était incrustée, le même émoi me saisit, et je doutai alors de la vérité égrenée par Green : seul le Parisien de souche peut avoir l’apanage de ces souvenirs… Je doute, je doute…

Dans le 5eme, la rue des Oursins et la rue de Poissy me séduisent. En dépit de leurs vieilles carcasses, les maisons savent se lancer dans l’aventure de l’Art Déco, avec leurs entrelacements de fer forgé, leurs fenêtres aux mosaïques vert pomme. Elles peuvent se tancer d’être ouvertes sur le monde, en offrant à qui les achète ses produits dont le nom seul fait franchir d’un coup la Méditerranée, l’Italie: le savon d’Alep. Oh ! Orient ! Tu t’enchaînes à ces rues, mais tu les fais si joliment vivre. Sans toi, Paris serait comme un couscous sans harira, un musée sans le musc des bêtes empaillées dans le Musée des Plantes.

Parfois, un détail fait sourire : à côté de la mairie du 18eme, la Rue Hermel remonte vers les Buttes Chaumont. Là, se trouve un laboratoire de prothèses dentaires. Rien de bien extraordinaire, me direz-vous. Mais, un jour que je passais par-là, je vis au travers de la vitrine l’un des techniciens bailler à se faire décrocher la mâchoire. J’imaginais aussitôt le dentier de cet homme rire, comme celui d’Yves Montand dans un film dont j’ai oublié le nom. Que ce fut drôle ! L’homme me vit, me sourit d’un air espiègle. Jouait-il lui aussi, ou baillait-il réellement ? Je ne le saurais jamais. Mais peu importe.

A l’angle de quatre rues, (la rue Paul Albert avec son café à la devanture vert bouteille dont le nom sonne branché mais pas authentique « le Botak café », la rue Müller, la rue Pelletier et la rue Wallace d’Utrillo remontant vers la place du Tertre), un coin m’accueillit un jour de froid, pendant l’hiver 2009. Il avait neigé, mais j’avais bravé les turbulences climatiques pour venir à vélo rencontrer le propriétaire d’un appartement, rue Müller. Ce dernier étant grippé, j’avais décidé de me donner du bon temps, en remplaçant le rendez-vous professionnel par une rencontre culinaire. Le restaurant « l’été en pente douce » en fit les frais. Il me fit une forte impression avec sa devanture bleue, ses vélos hollandais parsemés de neige accrochés devant sa terrasse chauffée. Je pris le poisson du jour ; ce fut un festin. Rouget, lotte, cabillaud et sole me consolèrent de ce propriétaire qui m’avait tendu un lapin. En tout état de cause, je profitais même de l’occasion pour goûter un petit vin blanc sec qui me réchauffa les articulations. En contrebas du restaurant, se trouvait le marché St Pierre. Je le distinguais à peine à cause de la neige qui avait étendu un léger manteau sur son toit. Je m’y étais rendue une fois. J’en étais sortie groogy à cause des étoffes qui n’en finissent plus de tourner leurs couleurs. Il faisait bon dans la terrasse du restaurant, j’oubliais le monde.

Le soir est une autre histoire, à Paris.
Paris n’est plus Paris, c’est un tableau. Sans nul doute, je préfère la tombée de la nuit à la pleine lumière crue du jour. Parfois c’est sous un ciel de couleur bleu sombre recouvert de tâches mi-grise, mi-rosées, comme si un peintre avait pris le ciel entier pour toile et y avait superposé ses couches, que Paris offre ses plus beaux atouts. Le ciel de Montmartre tombe comme une chape de plomb sur les toits gris argentés. Le Louvre transpire de tous ses pores, mais scintille sous les candélabres distillant leurs lueurs du XVème siècle. L’Opéra Garnier accroche sur ses toits recouverts d’or la quiétude du moment. L’Académie de Billard de la Place de Clichy attire les joueurs comme un aimant. C’est là où j’aime imaginer Toulouse-Lautrec venant de Clichy à pied. L’homme a envie de se perdre. Non plus dans les bras de ses danseuses du Chat Noir, mais dans les volutes des cigares fumés par les bourgeois de la place de Clichy. J’imagine les élégants, les dandys discutant autour de la table de velours vert. Ils jouent sans avoir l’air de tenir compte des points marqués par leur adversaire. Car l’Académie est une vieille dame, cela se voit. Elle ne manque pas de panache, impose sa patine. Aujourd’hui, elle rit du XXI siècle qui ne tient pas debout.

Lorsque les rues du Faubourg St Denis, de la Porte St Martin, d’Aboukir, ces rues étroites mangées par les commerçants chinois ou indiens, menacent de m’étouffer, je m’envole vers les quais de Seine. Là, je sais que les eaux du fleuve me donneront la force de revenir affronter les regards indifférents, la course vers le profit, les jours sans rire. Paris sait ôter le charme de sa renommée. Sans souci. Elle ne se laisse pas capturer comme une femme facile. Il me faut longtemps longer les quais, avant d’être en mesure de sentir l’odeur de l’eau, celle des arbres qui la bordent en contrebas. Le vent s’empare de mes cheveux, en joue. Je sais alors que tout va bien. Paris me redonne ce qu’elle m’avait enlevé de longues minutes plus tôt. Elle a élargi ses allées, laissé entrevoir des passerelles entre les rives de la Seine, entre la Bibliothèque et le parc bordant la Cinémathèque Française, donnant la délicieuse sensation de se croire un formidable funambule au-dessus des myriades de voiture, au-dessus des remorqueurs remontant la Seine chargés de charbon noir. C’est dans ces moments que l’immensité entourant la bibliothèque François Mitterrand me semble un refuge, une porte ouverte à l’abandon. Ses hautes façades minérales jouxtent le ciel. Ma petitesse ressemble à une page qui vole au gré du vent. Je suis une fourmi devant les colosses gardant le temple des pharaons de l’Egypte antique. J’aime ça. Une jeune femme assise près des mastodontes l’a compris. Son ordinateur sur les genoux, elle relit les pages de son roman. En toute confiance. Elle n’a pas peur de montrer ce qui la meut : l’écriture. Avant que les lumières s’éteignent. Avant la fin de l’évasion.

Il se peut alors que je veuille revenir vers des endroits aperçus pendant le périple, comme le café aux deux écus dans le 1er ou ceux bordant le quai Henri IV dans le 4eme. Mais vite, l’ambiance me lasse. Dans ces auberges, les aventuriers ne se donnent plus en spectacle, les tapageurs se font discrets. Ici, c’est le murmure bourgeois qui l’emporte. Il enfle comme les mâts d’un navire, mais il faut cinq voiles, désormais, pour que le navire s’élance. Ah, comme j’aimerais entendre ces escrimeurs de bons mots ! Comme j’aimerais que les joutes verbales portant sur des débats philosophiques, spirituels sautent d’une table à l’autre. Mais je crains que ce panache-là n’ait plus sa place dans ces lieux. Il y est ringard, has been.

Il faut aller le chercher ailleurs. Il faut rouler du côté de la Butte aux Cailles, s'installer à la terrasse des restaurants traditionnels, se sentir enfin porté par cette verve qui naît de façon spontanée entre gens simples. Là, on se sent comme au bistrot de notre village d’enfance. On peut siffler une bière et parler à votre voisin d’à-côté, sans le connaître. On peut même manger une saucisse du pays sur une table recouverte d’une nappe rouge et blanche. Cette nappe à petits carreaux…. Elle symbolise les soirées du dimanche soir, avec ses polars des années 80, ses amours prometteuses, ses parties de cartes tardives, ses débats sur le bloc de l’Est ou sur la marijuana.

A vélo, on découvre des lieux entrouverts que l'on accumule comme des trésors: des portes cochères entrebâillées le long de la rue de la Montagne Ste Geneviève avec leurs jardins d’hôtels particuliers, où les transats flirtent lascivement avec les arcades fleuries de glycine, de chèvrefeuille; des impasses comme dans la rue St Antoine avec les ateliers de menuisiers offrant aux ciel leurs dernières cheminées d’ouvriers classées monuments historiques.
Je fais semblant de me perdre dans le labyrinthe du 11e : les rues Popincourt, St Maur me plongent dans le temps des antiquaires, des artistes engagés. La rue de Lappe derrière Bastille m'englue dans ses bars, ses tripots, ses cabarets de swing aux ambiances des années 70 psychédéliques (le Balajo, pour ne citer que lui).

Les passages méritent aussi le coup d’œil, certains promeneurs à l’œil aiguisé se sont amusés à les répertorier. Allez-les voir, ces passages…. Certains sont chics, cachent des bars à vins réputés pour leurs soirées VIP où les amoureux de la bouteille côtoient des pianistes de jazz américains. D’autres affichent leurs tendances ethniques, comme dans le 10e où l’on mange les meilleurs plats indiens de tout Paris, à 7€… (passage Brandy).
D’autres s’enfoncent vers la revendication syndicale, vers le kitch, vers l’arnaque à touristes.


Pour terminer la balade, je ne lève plus les yeux vers les façades, les rues, les cours, les résidences d’artistes (comme le désuet atelier Stéphane Gérard, charmant dans son romantisme réaliste) mais vers les gens, ceux qui peuplent Paris depuis toujours, depuis peu.
Les statues, par exemple. Elles vous regardent, partout : dans les fontaines, sur les ponts, dans les postures les plus controversées de leur anatomie. Elles n’ont aucun complexe de pudeur. Lascives ou provocatrices, elles suggèrent, batifolent, s’amusent sous les voûtes célestes. Leur beauté de marbre lasse parfois ou rend plus splendide leur isolement. Reflet de nos mœurs, elles rendent hommage à l’élégance, à la finesse de ce que fut, un jour, notre Histoire.

Les hommes et les femmes passent près de nous comme des poussières d’étoile. Le long du quai de Guesvres, sous un ciel gris, la blancheur d’un couple japonais me fascine. Ils m’offrent trois ou cinq secondes d’une vision d’un autre âge. En fond d’écran, l’île de la Cité, avec la cathédrale Notre-Dame. En premier plan, ce couple habillé de l’habit traditionnel japonais. La femme porte un kimono d’une blancheur immaculé, avec des cheveux noirs relevés en chignon. A ses pieds, des sandales de bois qu’ils appellent geta. L’homme porte un kimono noir avec une ceinture blanche autour de la taille. Tout peut être, tout peut perdurer, à condition de le vouloir.

Paris, c’est enfin cette romance des amours qui se renouvelle chaque printemps sur les bancs publics. C’est cette amitié qui perdure entre amis de tous les horizons, sur les ponts entre deux rives de la Seine, autour d’une guitare, d’une bouteille de vin.
C’est une douceur à l’italienne autour de la fontaine Saint Sulpice. C’est l’amertume de la solitude, le long des faubourgs, lorsque les amours finissent. C’est tout cela, mon Paris à moi.