Portraits de femme aux jolis pieds
27 mai 2010
La femme sur le Boulevard des Maréchaux
Une femme attend son bus, sur un trottoir, à un arrêt quelconque du Boulevard des Maréchaux.
Ce sont ses pieds qui m’attirent, ou plutôt leur forme.
Longs et minces, ils sont tranquillement blottis dans des ballerines bleu turquoise. Recouvertes de fines pierres dorées, les chausses semblent vouloir raviver la beauté de l’Orient.
Des pieds, je remonte vers les vêtements que l’on imagine aisément suspendus aux cintres d’un imposant dressing, dans une chambre aux murs couleur vert pastel.
La tunique est orangée, la jupe noire grisée. Sa tenue ressemble à un fruit mûr à point, dont le jus coule doucement sous la pointe d’un couteau de table à la Christofle.
Le visage a des contours généreux encadrés par des cheveux noirs mi-longs. La bouche est rouge, maquillée avec élégance. Elle est grande, mince.
D’une quarantaine d’années, elle ressemble à une actrice des années cinquante. Les voyages semblent s’être incrustés sur elle, sur ses vêtements, sa tenue. Tout semble léger, en suspens, comme si elle allait de nouveau s’envoler vers des paysages d’Asie ou d’Afrique. Tout en elle respire la quiétude. On la dirait nourrie du regard des êtres croisés sur sa route. Pas ceux marqués par les vicissitudes de la vie, mais par ceux qui portent dans leur regard la sagesse de leurs actes, la foi en leurs traditions. Ses yeux sont ouverts, calmes, profonds. Peu importe qu’ils soient bleus, verts, marron ou noirs.
Elle rayonne de tout son être. Elle est la femme des aubes naissantes, des nuits prolongées sous le feu des étoiles.
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La femme sur les quais de gare
Elle avait deux orteils, l’un proéminent, l’autre mince. Elle les exhibait, indifférente, dans des sortes de nu-pieds sans forme. Elle fumait cigarette sur cigarette, indifférente aux regards, aux sifflements de trains, aux mouvements de masse, aux cris des gamins. Elle fixait son regard sur un horizon bouché par des constructions métalliques. Un train s’éloignait. Il emportait sa raison d’être, sa folie et sa vie. Son homme. Son amant, son chien servile, son lécheur de chatte. Elle gardait sur ses lèvres le goût amer qu’il avait déposé en l’embrassant avant de se fondre dans la masse. Elle naviguait d’un pied à l’autre, cherchant à récupérer l’habitude des départs. En vain. Il était parti sans un regard vers elle.
27 septembre 2010
L’amie aux pieds rouges
Tatiana aime le rouge sous toutes les déclinaisons : le rouge aux ongles, le rouge aux joues, le rouge des baisers. Celui qui recouvre ses ongles de pied.
C’est ce rouge qui attira mon œil, un soir d’été. Il s’en étonna.
« Tatiana a de tout petits doigts de pied. »
« Si petits qu’ils semblent recroquevillés. »
« Je ne m’en étais jamais aperçue ».
Je continuais à m’interroger, incapable de fixer mon attention ailleurs.
« Est-ce à cause de la forme de la chaussure ? »
Elle portait des tongues noires qui donnaient à ces pieds le sentiment d’être perdus dans une mer de paille.
« D’habitude, elle porte des chaussures avec de fins talons. C’est ça. Tout est là : dans la dimension. Tout est une question de hauteur. »
La dimension d’une femme se mesure dans ses pieds. S’ils sont rehaussés ou non. Le snobisme, la bourgeoisie ne souffre aucune entorse à la règle. Une tongue noire sur des doigts de pieds minuscules, c’est comme une Bernadette sans son Jacques.
Je mesure désormais à quel point la chaussure peut faire ou défaire toute une renommée. Tout un travail patiemment orchestré. Le détail qui tue, qui sabote une construction menée dans un but de perfection.
Maudites tongues, qui rapetissent la dimension qu’une femme se crée.
Maudites tongues qui enchaînent les pieds à un rôle si plat, si banal : celui de poser un pied l’un devant l’autre. Sans aucune distraction. Sans se faire remarquer.
Messieurs, si vous lisez ces lignes, ne serez-vous point indignés? Vous qui faites porter des talons aiguille à vos maîtresses le temps de l’assaut amoureux, vous qui portez à l’écran vos fétichismes, vos fantasmes sur des donzelles en habit de soubrette (le Journal d’une Femme de Chambre, avec Jeanne Moreau), ne me dites pas que vous n’aimez pas le pied relevé. Le pied qui se découpe dans sa forme féline, que vous ôtez avec précaution de son écrin, et qu’ensuite vous léchez avec ferveur, douceur, scrupule et candeur. Vous aimez le pied dénudé qui vous caresse, vous berce, vous fait tendre comme un arc.
Les pieds minuscules de Tatiana dans ses tongues noires me criaient leur détresse.
Mon rôle était de les sauver.
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